Ils
sont là, silencieux et visiblement pessimistes sur leur sort. Ils
attendent. On leur viendrait volontiers en aide tant ils ont l'air
pauvre. Le vendeur de truffes se recrute parmi les membres les plus
moroses de la famille. La mine joviale et heureuse est très mal vue.
Elle pourrait laisser supposer que vous avez fait de bonnes affaires, ce
qui est faux. L'air misérable et farouche est donc de rigueur. Un rien
de laisser-aller ajoute une note bienvenue. Le clan chétif des
gratte-terre parle peu, voire pas du tout. Il existe un interprète en
grognements pour les touristes de passage. On reconnaît cet initié à ce
qu'il a une sacoche au côté et enregistre les cours apparents et les
quelques transactions ridicules en volumes, d'un crayon rageur qu'il
mouille à la bouche.
On hume,
on gratte de l'ongle du pouce, d'une main, on se chuchote des mots
codés sans bouger les lèvres. Quand la transaction a abouti, le vendeur
émet son grognement particulier et ses paupières tombent. Le marché est
passé. Quand vous voyez passer des liasses de billets, c'est une erreur.
Certainement un acheteur parisien inconscient venu de l'extérieur et
qui aura pensé que cela pouvait dérider l'atmosphère de ce souk rural et
qu'il allait pouvoir acheter rapidement les quelques dizaines de kilos
qui lui seraient utiles. Le malheureux !
Il peut
agiter ses liasses d'argent repassées de frais autant qu'il le voudra,
ce ne sont pas ces pauvres hères qui s'y intéresseront.
Ils ne savent même pas lire.
D'ailleurs, ils ne vivent que de troc.
Les
grognements peuvent se faire agressifs si l’on approche trop, car le
gueux dérangé dans sa misère peut devenir méchant. Sur le coup de midi,
après quelques achats locaux par des gens comme vous et moi, les groupes
se séparent, avec la mine déconfite de gens qui ne savent pas ce qu'ils
vont manger. Après une halte de diversion à des comptoirs de bar où ils
boivent quelques pastis pour oublier leur condition, je sais qu’en
réalité ils se retrouvent dans des recoins d’arrière-cours, ou en rase
campagne, pour échanger des boites à biscuits de Louis d'or contre des
sacs de voyage Vuitton de 200 litres contenant chacun autant de kilos de
truffes brossées, magnifiquement propres, ramassées la veille par les
enfants revenant de l'école. Destination : les gros marchés du Périgord.
Ils échangent alors, derrière des buissons, leurs guenilles contre des
complets-vestons
en mohair et soie de chez Cardin, chaussent leurs bottes Hermès, se
démaquillent, se recoiffent et repartent, les échanges faits, dans leur
break de chasse Aston-Martin vers de grosses fermes isolées dans des
bois impénétrables, comme la forêt de Sherwood, peuplés de chênes au
pied noir de truffes.
A suivre 3 et 4 .....
A suivre 3 et 4 .....
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