vendredi 20 janvier 2012

Nouvelle de JEAN PIERRE CHABANNE :Effluves de truffes noires (2)


Ils sont là, silencieux et visiblement pessimistes sur leur sort. Ils attendent. On leur viendrait volontiers en aide tant ils ont l'air pauvre. Le vendeur de truffes se recrute parmi les membres les plus moroses de la famille. La mine joviale et heureuse est très mal vue. Elle pourrait laisser supposer que vous avez fait de bonnes affaires, ce qui est faux. L'air misérable et farouche est donc de rigueur. Un rien de laisser-aller ajoute une note bienvenue. Le clan chétif des gratte-terre parle peu, voire pas du tout. Il existe un interprète en grognements pour les touristes de passage. On reconnaît cet initié à ce qu'il a une sacoche au côté et enregistre les cours apparents et les quelques transactions ridicules en volumes, d'un crayon rageur qu'il mouille à la bouche.

On hume, on gratte de l'ongle du pouce, d'une main, on se chuchote des mots codés sans bouger les lèvres. Quand la transaction a abouti, le vendeur émet son grognement particulier et ses paupières tombent. Le marché est passé. Quand vous voyez passer des liasses de billets, c'est une erreur. Certainement un acheteur parisien inconscient venu de l'extérieur et qui aura pensé que cela pouvait dérider l'atmosphère de ce souk rural et qu'il allait pouvoir acheter rapidement les quelques dizaines de kilos qui lui seraient utiles. Le malheureux !

Il peut agiter ses liasses d'argent repassées de frais autant qu'il le voudra, ce ne sont pas ces pauvres hères qui s'y intéresseront.

Ils ne savent même pas lire.

D'ailleurs, ils ne vivent que de troc.

Les grognements peuvent se faire agressifs si l’on approche trop, car le gueux dérangé dans sa misère peut devenir méchant. Sur le coup de midi, après quelques achats locaux par des gens comme vous et moi, les groupes se séparent, avec la mine déconfite de gens qui ne savent pas ce qu'ils vont manger. Après une halte de diversion à des comptoirs de bar où ils boivent quelques pastis pour oublier leur condition, je sais qu’en réalité ils se retrouvent dans des recoins d’arrière-cours, ou en rase campagne, pour échanger des boites à biscuits de Louis d'or contre des sacs de voyage Vuitton de 200 litres contenant chacun autant de kilos de truffes brossées, magnifiquement propres, ramassées la veille par les enfants revenant de l'école. Destination : les gros marchés du Périgord. Ils échangent alors, derrière des buissons, leurs guenilles contre des complets-vestons en mohair et soie de chez Cardin, chaussent leurs bottes Hermès, se démaquillent, se recoiffent et repartent, les échanges faits, dans leur break de chasse Aston-Martin vers de grosses fermes isolées dans des bois impénétrables, comme la forêt de Sherwood, peuplés de chênes au pied noir de truffes.


A suivre 3 et 4 .....

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